Thé Troc baisse définitivement son rideau

Paris ne sera plus tout fait la même après la fermeture du disquaire Thé Troc. Mais 42 ans de bons et loyaux services à la cause BD et vinyles, sont à saluer comme il se doit. Ferid va quitter la rue Jean-Pierre Timbaud fin mai 2022. Et c’est la mairie de Paris qui a préempté le bail pour un commerce local. Il sera donc beaucoup plus difficile de trouver les EP signés du dessinateur américain Robert Crumb. Mais à toute chose malheur est bon : les disques et bouquins sont à -30% jusqu’à fermeture.

Thé Troc reste encore l’une des plus anciennes boutiques de vinyles de Paris. Du moins, celle dont le fondateur préside toujours aux destinées du lieu : depuis 1981 ! D’abord installé à l’angle de la rue Jean-Pierre Timbaud et de l’avenue de la République, Thé Troc a glissé de cinquante mètres. « J’ai été foutu à la porte par un investisseur… Ici c’est plus grand », explique Ferid, l’ancien routard et toujours « anarcho-communiste fumeur de hash ». « Ce qui m’intéressait, c’est le sous-sol qui me sert de dépôt pour toute la production de ma maison d’édition de bande dessinée. »

Quoi qu’il en soit, on reste à proximité du Bataclan et des émotions que cela induit. Si le quartier semble avoir effacé ce triste soir du 13 novembre 2015, il reste qu’en passant devant la salle de spectacle, chacun frissonne encore d’effroi. Thé Troc peut être une bonne antidote au spleen.

Il faut bien l’avouer, les vinyles ne sont pas la principale attraction de cette librairie salon de thé. Certes, juste devant la caisse, il y a un bac « 45t collectors », et puis cachés à gauche derrière un présentoir, presque dans la pénombre, il reste encore plusieurs centaines de disques de rock, de jazz et de chanson française. Ici, rock et bulles font bon ménage. Comme ce Cocktail d’Amour, un album des Primitifs du Futur, un groupe « post-folk néo-musette » des années quatre-vingt à géométrie variable aux pochettes signées Robert Crumb, le célèbre dessinateur américain désormais installé en France qui a déjà à son actif la pochette de l’album Cheap Thrills de Janis Joplin. Une pochette détournée de façon très osée se vend ici 100 euros. Ce même Crumb dont une affiche pour le Festival d’Angoulême fut censurée lors de l’édition de l’an deux mille du festival d’Angoulême et dont quelques exemplaires se trouvent chez Thé Troc ; l’affiche dédicacée – et toujours très osée – se vend 100 €. Anarcho-communiste fumeur de hash… Et un peu dans les affaires !

On supposerait à tort que Thé Troc est un bric à brac

Le magasin vaut à lui seul le détour. N’hésitez pas à y prendre le thé. Ferid fait ses propres mélanges. « J’ai voulu ouvrir un salon de thé après avoir vu les Chaikhana afghanes ; elles m’ont inspiré l’ambiance, le calme et la façon de se poser pour déguster cette boisson ». Et il est vrai que la sérénité s’impose dès la porte franchie… Poussez fort, elle coince un peu ! Sur la gauche, une dizaine de tables vous tendent les bras dans un décor de dernier salon avant la fin du monde. Pour déguster en paix, des tables en bois dépareillées et des coussins multicolores ; au mur, des sérigraphies de bandes dessinées, des posters psychédéliques, voire rock. Sans oublier un meuble d’imprimeur qui renferme d’autres affiches. Si tout est à vendre, attention au prix. Car sous son aspect brocante, se sont de véritables objets de collection qui sont proposés ici. Des éditions originales de Tintin aux bandes dessinées dédicacées par leurs auteurs – Robert Crumb, encore lui, ne dédicace qu’une fois par an et c’est au Thé Troc que ça se passe –, tout ici est original, précieux et issu d’une culture underground qui a pignon sur rue. N’oublions pas non plus les dizaines de petits objets que le patron a ramené de ses pérégrinations en Asie. Bref, on supposerait à tort que Thé Troc est un bric-à-brac. L’adresse est unique, dans son jus, et recèle mille trésors. Pour deux mois encore.

Thé Troc
52 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris
Tél. : 01 43 55 54 80
Ouvert le lundi de 14h à 20h et du mardi au samedi de 10h à 20h. M° Parmentier