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Alex Firla : « Voir bosser Elton John, c’était juste dingo ! »
Collaborateur de Depeche Mode, de L’Affaire Louis Trio, Phoenix ou encore d’Exsonvaldes, le musicien parisien publie son premier album, L’Envers du Ciel (distribué par Renard Noir/French Parade). Un disque de rock indus, à la fois mélodique et bricolé, dont déjà trois singles ont été extraits (On Avance, En Apnée, Anesthésiez-Moi). On pense en l’écoutant à The Kills, The Cure, The Chameleons aussi, le tout revisité en mode electro et chanté en français. Parmi les titres qui se détachent vraiment de ce premier disque nostalgique mais ancré dans les années 2000, le morceau Amour Amer avec son gimmick à la Kraftwerk et sa guitare cold-wave à la Sisters of Mercy.
Tu as été, tu es encore ingénieur de son. Tu as travaillé avec nombre d’artistes, de Depeche Mode, en passant par Elton John, à Vanessa Paradis, Phoenix ou encore Exsonvaldes. Qu’est-ce qui t’a décidé la cinquantaine passée de sortir de l’ombre et d’enregistrer ton premier album sous ton nom ou plutôt ton pseudonyme ?
Alex Firla : J’avais besoin de passer de l’autre côté de la console. Je travaillais avec d’autres artistes mais j’ai eu envie de m’y remettre, de refaire de la musique. Au départ, je ne pensais pas que j’allais chanter. Je me disais que j’allais jouer, que j’allais former un groupe avec des potes avec qui je bossais, puis finalement ce n’est pas arrivé comme ça, comme je l’imaginais. Je me suis à écrire des trucs, et puis je me suis dit : « Bon, ben… Il va falloir chanter. » (sourire) Je ne me projetais pas au départ dans un disque, puis de fil en aiguille, ça s’est construit. J’ai fini par rencontrer Adélaïde (Pralon), ma co-autrice, qui m’a aidée. Je lui envoyais des fragments de textes et elle me renvoyait des trucs. On a travaillé comme ça pendant pas mal de temps.
Tu avais l’idée de chanter en français ?
Non… En fait, avec Adélaïde, il y a très très longtemps, j’avais déjà essayé de faire des chansons. Très longtemps. Je ne me souviens même plus quand… (rires). Très vite est revenu le fait que mon anglais n’était pas très bon, idem pour mon accent, et je ne voyais pas l’intérêt de chanter dans cette langue. Autant interpréter mes textes en français, et m’exprimer correctement.
Est-ce vraiment ton tout premier disque puisque tu m’évoques cette collaboration antique avec Adélaïde ?
J’ai travaillé adolescent sur des projets mais qui ne sont jamais sortis. J’avais des groupes, j’ai fait quelques concerts à l’époque et on écrivait des chansons mais ça n’a jamais débouché vraiment sur quelque chose. Après j’ai fait des compositions pour de l’habillage télé et des pubs il y a une vingtaine d’années. C’était pour Arte, pour des marques. Ce que l’on faisait beaucoup, c’est ce que j’appelle des démarques, des chansons qui avaient des références dans des films, etc. Dans l’habillage, c’était plus créatif.
C’était frustrant ?
Non, c’était bien. Mais à un moment, le robinet s’est fermé. C’était sympa et très rémunérateur.
Comment s’appelaient tes premiers groupes et qu’est-ce que tu faisais ?
Je faisais de la pop hybride en mode Cure. Notre nom, c’était The Scarf and the film X. Mon pote dessinait, et on projetait sur nous des dessins pendant les concerts. C’était boîte à rythmes, basse, guitare, et on ne faisait que des instrus. Personne ne chantait. On était très post-Pornography (un album de The Cure publié en 1982). On était dans les Yvelines.
Et tu n’as pas de trace discographique ?
Non. Je dois avoir quelque part une cassette VHS d’un de nos concerts, et peut-être, quelques cassettes enregistrées depuis mon 4 pistes. Tout est instrumental, sans voix même si je devais très profondément avoir envie de chanter sans oser le faire. J’ai appris la guitare en autodidacte. On était en plein dans l’époque Do It Yourself.
Tes références quand tu avais 15 ou 16 ans, c’était donc The Cure mais peut-être aussi The Chameleons ou…
Ah oui, c’était ça. J’écoutais aussi les Sex Pistols, les Clash, 999, j’adorais aussi Bauhaus.
En tant qu’ingénieur de son, quel est ton parcours ?
Je suis arrivé tout minot dans un studio, et j’ai appris mon métier là-bas.
Sur quels disques as-tu travaillé pour avoir une idée de ce que tu as fait ?
Ouh la la… Mon premier disque en tant qu’ingénieur, c’était Mobilis in Mobile de L’Affaire Louis Trio.
Un disque important : le premier disque de pop « britannique » en français !
Tout à fait. J’ai rencontré après Alf qui ensuite a travaillé sur l’album de Phoenix. J’ai aussi travaillé au studio Guillaume Tell sur l’album de Vanessa Paradis avec Gainsbourg (Variations sur le même t’aime, 1990), un album d’Elton John, un faux live de Peter Gabriel, etc. C’était très riche, très divers. J’ai aussi bossé avec Depeche Mode sur un single, Condemnation (1993). Ils étaient en tournée à Paris, et ils venaient bosser au studio.
Est-ce que ça a inhibé ta musique ou au contraire, as-tu été inspiré par le fait de côtoyer ce genre d’artistes ?
J’ai totalement arrêté de faire de la musique. J’étais avec des gens tellement brillants, et puis je n’avais pas le temps. J’ai mis de côté la musique pendant dix ans. J’étais vraiment dans la technique, et je regardais les gens faire. Mais j’ai emmagasiné plein de choses pour plus tard. Je voyais de près des pointures comme Stephen Hague (The Human League, New Order) enregistrer des albums, notamment pour Papa Wemba. Tu vois des manières de faire. L’album d’Elton John (The One, 1992), le voir bosser, c‘était juste dingo. J’ai passé six mois sur ce disque. Il est arrivé, il avait zéro chanson. Je suis content d’avoir connu la fin d’une époque et le début d’une autre. C’était fou… J’ai connu la bascule vers le home-studio. A dix ans près, j’aurais peut-être fait de la musique plus vite. Je me suis remis à faire de la musique parce que techniquement, j’avais le background pour bricoler avec des outils, des samplers et des machins avant de redevenir instrumentiste.
Comment as-tu procédé pour ce disque ?
Je faisais beaucoup de guitare/voix, et de basse/voix. Ensuite, je rentrais ça dans mon logiciel qui était Logic à l’époque et je commençais à bricoler des arrangements, des bouts de trucs, de textes. J’envoyais à Adélaïde. Elle me renvoyait d’autres bouts de texte. A un moment donné, j’ai commencé à avoir quelque chose. Et là, j’ai buggé faute de pouvoir prendre de recul. J’avais réalisé le disque d’un artiste ou plutôt d’un groupe qui s’appelle White Crocodile, et j’avais fait la connaissance d’un bassiste américain du nom de Jeff Allman avec qui je me suis bien entendu. Je lui ai demandé un coup de main pour m’aider à finir. Ce qu’on a fait, en rebricolant des arrangements, en refaisant de la production.
As-tu l’impression d’avoir eu des albums de référence pour ton disque qui l’ont imprégné ?
Forcément. J’ai dû aller piocher dans les années 80/90…
Oui, mais par exemple, tu as travaillé avec L’Affaire Louis Trio. Clairement, L’Envers du ciel ne penche pas vers la pop mais plutôt le rock indus, un peu FM aussi…
Oui, clairement. Mais je n’avais pas de disque de référence en tête.
As-tu pensé utiliser un alias ?
J’y ai pensé, mais ça n’allait pas dans ma démarche. J’avais besoin de l’assumer. Mais Alex Firla n’est pas vraiment mon nom, c’est Alexandre… J’ai choisi Alex.
Quand tu chantes Anesthésiez-moi, faut le prendre au premier degré ?
Oui. Un peu. Selon les chansons, le curseur entre ma part et la part d’Adélaïde, varie, mais j’assume tous les textes.
Est-ce que ton humeur est aussi « down » que certaines chansons peuvent le laisser entendre ou penser ?
Non, je ne crois pas. Mais il y a des chansons que j’ai écrite à des moments de ma vie où j’étais dans des états un peu… Anesthésiez-moi, je l’ai écrite, j’y pensais un peu comme ça. Il y a aussi un peu de second degré derrière.
Et Amour Amer ?
C’est à peu près la même époque.
Et tu écrirais aujourd’hui ces mêmes chansons, de la même façon ?
Non, clairement, je ne suis pas dans les mêmes humeurs. J’écris en ce moment et c’est différent. Je suis moins centré sur moi, je me suis ouvert. Musicalement, ce sera sans doute plus composé guitare/voix qu’à partir de bricolages.
C’était quoi le premier disque que tu ais acheté ou qu’on t’ait offert ?
Un disque de George Brassens. Un album pour enfants. Dans ma famille, il y avait un piano mais on était plutôt littéraire. J’adorais écouter ce disque. J’ai une grande sœur qui m’a fait découvrir les Beatles, etc.
Mais ton premier groupe, celui qui t’a marqué, c’est The Cure ?
Ah oui. Je crois que ça fait partie de mon ADN musical. J’ai plutôt connu grâce aux albums 17 Seconds, Faith et Pornography. J’aimais beaucoup Siouxsie & The Banshees aussi. Après, il y a eu Cocteau Twins, This Mortal Coil et tous les disques du label 4AD.
Et maintenant, qu’est-ce que tu souhaites ?
Ma priorité, c’est le live.
Propos recueillis par Frédérick RAPILLY (Septembre 2024)
Alex Firla « L’Envers du Ciel » (Renard Noir / French Parade, en numérique)