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Johan Asherton : J’ai tenté d’écrire en français…
Cela fait plus de 40 ans que Johan Asherton égrène ses albums folk rock à une communauté de fidèles. Avant cela, le rock et l’instinct grégaire avait pris soin de lui au sein des Froggies et de Liquid Gang. Pourtant, rien ne sert d’opposer folk et rock : « Deux mondes qui se nourrissent mutuellement » explique le normand d’adoption. Rencontre.
C’est ton 22ème album solo depuis 1988. Qu’est-ce qui pousse Johan Asherton à sortir des disques ?
Johan Asherton : La passion ! La musique est la première chose qui m’a interpellé quand j’étais tout jeune. Je me suis mis à la guitare dans les années 70 après avoir écouté Jimi Hendrix, Creedence Clearwater Revival, les Stones et les Beatles qui venaient de se séparer. Ça a été mon grand déclic. Même si je ne l’ai pas formulé comme ça, j’ai senti que j’avais un but dans la vie.
C’est ensuite que tu montes les Froggies.
J.A. : Oui, fin 1983. On a fait deux albums en 84 et 85. Après, il y a eu Liquid Gang qui a duré un an. On a eu le temps d’enregistrer un mini album 6 titres. Ensuite, j’ai commencé l’enregistrement de mon premier album solo en 1987. Il est sorti au printemps 1988 et je n’ai plus arrêté depuis. Ceci dit, je ne sors pas des disques pour sortir des disques. SI je le fais c’est que je sens que j’ai quelque chose à proposer.
Quelque chose de différent ?
J.A. : Alors ça, c’est compliqué. On ne peut pas décréter sois même ces choses-là. On espère toucher un certain nombre de gens. Après il est difficile de parler de ce qu’on fait.
Le passage du rock au folk de ta carrière solo s’est fait sans transition ?
J.A. : En fait, dès les premiers disques de mon adolescence, j’ai remarqué que j’étais aussi bien intéressé par la guitare acoustique que par la guitare électrique. C’est pour ça que j’aimais bien quelqu’un comme Marc Bolan par exemple : il faisait les deux finalement. Sans oublier Bob Dylan que j’ai découvert comme un folkeux, mais qui jouait du rock’n’roll bien avant. Il a démarré comme pianiste dans des petits groupes de rock dans sa petite ville du Minnesota. Et quand il est revenu au rock électrique, on lui en a beaucoup voulu à ce moment-là ! Les passerelles entre rock et folk sont nombreuses avec des artistes comme Neil Young qui a toujours alterné l’acoustique et l’électrique. Deux styles que je trouve assez complémentaires, donc je ne vois pas de différence. Ce sont des mondes qui se nourrissent mutuellement.
Une double influence que l’on retrouve sur ce dernier album avec la belle reprise de « Lay lady Lay » de Bob Dylan.
J.A. : Il y a des choses dont on ne peut pas se défaire et c’est pas plus mal !
C’est la seule reprise de l’album ?
J.A. : Non, il y a aussi « Take a chance with me », un morceau de Roxy Music.
On est loin de ton univers !
J.A. : Pas tant que ça parce que Brian Ferry a toujours été un grand fan de Bob Dylan. Il a enregistré un album entier de reprises qui s’appelle « Dylanesque ». Un album magnifique. Et dès son premier disque solo en 1973, il y avait déjà une reprise de Bob Dylan « A hard rain’s gonna fall ». Une très belle version. En fait, les mondes de Roxy Music et Bob Dylan sont très proches. Il y a beaucoup de points communs… Dont Brian Ferry.
Pour toi, chanter en anglais est une évidence ?
J.A. : Je ne suis pas sûr de m’être jamais posé la question. Quand je m’y suis mis, je n’écoutais que des trucs anglais et américains. Je ne trouvais pas grand-chose de passionnant côté français. Ou alors, c’était des groupes français qui chantaient en anglais comme Les Variations par exemple. C’était en fait des « marocains » qui montent à Paris et trouvent un parigot comme bassiste. Eux étaient de leur temps et ne juraient que par Jimi Hendrix, Cream, etc. Bref, je ne trouvais pas mon compte dans le répertoire français. La grande chanson française me passait au-dessus de la tête. Gainsbourg n’était déjà plus tout jeune : il avait déjà la quarantaine lorsque je découvre la musique. Bon, ensuite j’ai creusé tout ça. Mais en 1970, à mes 12 ans, je ne me retrouvais pas dans cette musique.
Et plus tard ?
J.A. : L’univers de la chanson française, je l’ai découvert après sans lâcher l’anglais ; J’ai quand même fait une tentative en essayant d’écrire des titres en français. J’avais même envisagé un album et puis… J’ai fait marche arrière en pensant que ça brouillerait les pistes. Mon public est déjà confidentiel, ça serait un peu con d’aller dans cette direction. Et on m’a donné les moyens de continuer à chanter en anglais ! Finalement, à partir du moment où je ne me suis pas posé la question à mes débuts, n’écoutant que des trucs anglais et américains, pour moi c’était naturel. Du coup, j’ai beaucoup travaillé l’anglais jusqu’à devenir premier de la classe ! C’est une passion pour la langue anglaise.
Et pourtant certaines chansons sont titrées en français comme « Enfant terrible »…
J.A. : C’est un clin d’œil à Cocteau et c’est aussi une expression utilisée comme telle par les anglo-saxons. Dans un documentaire sur Leonard Cohen qui parlait des « enfants terrible of Montreal ». Ce sont deux mots qui sonnent bien ensemble. J’avais déjà fait le coup sur mon premier album solo avec la chanson « La vie de château » qui est un peu utilisée par les anglais. Et c’est aussi une référence au film des années 60 « La vie de château » que j’adorais avec Philippe Noiret et Catherine Deneuve.
Le nom de l’album est aussi pour moitié en français : « Matinée idols » !
J.A. : Matinée est évidemment un mot français, mais pour le coup les anglo-saxons l’ont repris et l’utilisent comme nous lorsque l’on dit qu’il y a une séance en matinée au théâtre ou au cinéma. Et dans « Matinée idols », ça sous-entend les jeunes premiers.
L’album contient aussi une chanson très jazz, « No doubt about it ». Un univers familier ?
J.A. : ça fait longtemps que j’avais envie de ça. Je l’ai écrite sans problème, assez rapidement. On a fait appel à un copain, un pianiste anglais qui nous a fait ça dans l’esprit bastringue.
L’album a été enregistré à Rouen. Ton fief depuis toujours ?
J.A. : Depuis 15 ans. J’ai quitté Paris pour m’installer à Rouen, une ville que je connaissais un petit peu. L’avantage, c’est qu’elle est entre la mer et Paris. Une jolie ville où j’avais de nombreux amis, dont Stéphane Dambry avec qui je travaille depuis très longtemps. On a fait l’album dans son home studio puis on l’a mixé chez Gene Clarksville, un musicien rouennais qui a fait partie des Roadrunners et des Dogs à une époque. Sur le disque, il a aussi ajouté quelques parties de piano. Sur « Enfant terrible », c’est lui au piano par exemple. Il a aussi fait une ou deux parties de guitare.
« Matinée Idols » sort en vinyle ; une vraie volonté ?
J.A. : Ce n’était pas nécessairement une volonté. C’est sûr que c’est un objet que j’aime depuis le début. On pensait sortir l’album uniquement en CD et puis Claude Levieux de Smap Records m’a proposé de sortir l’album en licence sur son label. C’est lui qui est parti sur l’idée d’un CD et d’un vinyle. En revanche, les deux reprises ne sont que sur l’édition CD.
Qui est Mohini qui chante sur plusieurs titres de l’album ?
J.A. : C’est une amie. Elle chantait dans Mando. On a sympathisé. Elle travaille dans un registre jazz et folk rock. Elle fait pas mal de duo. Elle a même fait un EP digital sous le nom de Innsaei. Une expérience avec deux autres musiciens branchés électronique. C’est très chouette, mais elle n’a pas fait tellement de promo… Sur mon disque on chante en duo sur « Tinseltown » et elle chante un refrain avec moi sur « For added charisme ». J’ai déjà fait un concert avec Mohini en invitée. Je m‘étais rendu compte que ça se passait très bien. Là on vient de faire un clip sur « Tinseltown » et on prévoit de faire de la scène ensemble.
Les prochains concerts sont prévus pour quand ?
A.J. : Pas avant novembre dont une date à Paris à La Dame de Canton. Un joli endroit.
Basé à Rouen, on ne peut s’empêcher de te demander quels étaient tes rapports avec les Dogs ? Dominique Laboubée a joué sur votre second album et Paul Pechenaert était dans le second line up des Froggies.
A.J. : Mes premiers passages à Rouen remontent aux débuts des années 80, quand ça chauffait bien pour les Dogs. Et je m’étais mis en tête de dénicher les disques d’eux que je n’avais pas. Du coup, je suis passé par la fameuse boutique Melody Massacre. Assez peu de temps avant la fermeture d’ailleurs ! Ce qui m’a donné l’occasion de rencontrer Lionel Herrmani et le même jour Gilles Tandy ! Mais je ne pensais pas habiter cette ville un jour. Les Dogs étaient importants. Quand ils ont commencé à percer je me suis dit qu’il était possible de chanter en anglais. C’était une inspiration pour monter mon groupe Les Froggies. D’ailleurs, le premier concert qu’on a donné c’était en première partie des Dogs à l’Eldorado à Paris en 1985.
Chanter en anglais favorise une percée dans les pays anglo-saxons ?
A.J. : Ça m’a permis de jouer un petit peu en Angleterre et aux Etats-Unis. Mais tu ne rentres pas là-bas comme ça ! Pour les Etats-Unis, il y a des restrictions sévères. Pae exemple, il faut payer le chômage d’un musicien américain.
Tu cites souvent Bob Dylan, Neil Young et Leonard Cohen comme influences majeures. Vous écoutez quoi en ce moment ?
A.J : Dans le même style, je persiste à écouter des vieux trucs. Je suis incorrigible. Le dernier disque que j’ai écouté c’est une compilation des BO des films de James Bond. Ce n’est donc pas très récent. Encore que, la compil’ doit s’arrêter en 2012. Sinon, j’adore le groupe Cousteau. Ils ne touchent pas beaucoup de monde, mais ils sont absolument magnifiques. J’ai aussi beaucoup aimé le disque de Paul Simonon le bassiste des Clash avec Galen Ayers, la fille de Kevin Ayers, fondateur de Soft Machine entre autres. Tout ça n’est pas très jeune. Ah si, j’aime vraiment bien les Dynamite Shakers. Très rock 60’s, turbulant… Ils ont 20 ans et sont français.
Pourquoi cette pochette de « Matinée idols » ?
J.A. : On a essayé de faire quelque chose de bien avec une pochette très hollywoodienne. Elle a été réalisée à partir d’une photo extraite d’un film avec Elizabeth Taylor et Monty Clift. Cette photo a servi pour une peinture qui a été réalisée par une amie italienne, On cherchait quelque chose qui puisse illustrer le monde hollywoodien des années 50 / 60. J’avais envie d’un couple légendaire.
Jouer dans un groupe ne te manque pas ?
J.A. : Oui et non. Ça dépend sur qui on tombe. J’ai eu une expérience en 2014 avec le Johan Asherton’s Diamonds. Ce n’est pas forcément un très bon souvenir. Comme dans beaucoup de domaines dans la vie, tu peux être copain et ne pas forcément très bien travailler avec eux. Dans le groupe, il y avait 1 ou 2 personnes que je connaissais depuis longtemps et deux autres que je ne connaissais que depuis peu de temps. Je me suis rendu compte que ça ne se passait pas très bien. Sinon, les groupes, ça me plait mais faut vraiment bien s’entendre et qu’on ait du travail, un calendrier bien rempli. Et là, c’était compliqué. Un groupe ça se soude au contact de la scène. Sinon, on a tendance à ne pas tellement se voir.
Et le groupe reste un truc d’ado ?
J.A. : Je ne pense pas. Le rock en général te maintient dans une espèce de jeunesse éternelle. En même temps, c’est un métier à part entière.
Hervé Devallan
Johan Asherton « Matinée idols » (Smap Records)