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Delaney Blue : « Quand tu habites en haut de Ménilmontant, et que tu descends, c’est San Francisco ! »
L’underground parisien a ses légendes. Delaney Blue en fait parti, lui qui joué avec Daniel Darc, Stiv Bators, Johnny Thunders… Sa famille en quelque sorte. Son nouvel album solo reste sous influence américaine. Rencontre.
Delaney Blue est un vrai parisien. De ceux qui sont tombés amoureux de la ville après avoir parcouru l’Europe. Lui, le grecque – il s’appelle Georges Betzounis – qui a vécu à Copenhague, Amsterdam et Londres avant de ne pouvoir imaginer la vie sans respirer l’air des faubourgs. Pas question de devenir un « Ten minutes people » comme il aime à le dire : un triste banlieusard pour tous ceux qui pratiquent le RER. Bref, pour lui, c’est Paris ou rien. C’est donc dans un café, le long du canal Saint Martin que le rendez-vous est pris. Le prétexte ? La sortie de son second album solo « The hurting kind », 16 ans après le premier. Le temps passe vite. Derrière un demi de bière se cache un rockeur, un vrai, aux cicatrices intactes et magnifiques, celles de l’existence et des milles histoires qui ont rythmé son parcours punk. Les cheveux jais toujours en bataille sont à l’unisson du dress code.si sombre qu’il devient un vrai Soulage. La conversation s’engage.
Pourquoi avoir choisi Paris comme port d’attache ?
Delaney Blue : Quand j’étais ado, c’était l’époque des colonels en Grèce. Certains secteurs échappaient à la censure militaire. Le cinéma et la musique en faisaient partis. J’achetais Best et Rock’n’Folk, le NME, etc. Pourtant je ne parlais pas le français. Mais ça me faisait rêver. Un demi-siècle plus tard, j’envoie une lettre à Philippe Manœuvre le remerciant d’avoir permis un rêve de devenir réalité : je ne pouvais imaginer un jour apparaître dans les pages de ce magazine Il avait parlé de « Stranger in your heart », mon premier album.
Votre album « The hurting kind » s’inspire du mythe américain, allant même jusqu’à la musique irlandaise !
D.B. : « Mon premier album, c’était Broadway au sens variété américaine : Randy Newman, tous ces songwriters. « The hurting kind » puise dans les racines de la musique américaine : la folk, la musique irlandaise, la musique tyrolienne et… la bourrée ! » Et c’est vrai que l’Irlande est bien présente sur au moins deux titres, notamment avec Eoghan Lucey à l’Irish Bouzoukis, une sorte de banjo originaire… de Grèce. On y revient ! « La pédale Steel mixée en avant y est aussi pour beaucoup !
Cette impression folk est renforcée par l’absence de batterie.
D.B. : J’ai pris l’option maison de campagne où les amis sortent les guitares et jouent. Ce genre de soirée où il n’y a pas de batterie, ni de guitares électriques.
Ce qui n’empêche pas les claviers !
D.B. : Oui, il y a le grand Sal Bernardi qui vient de cette musique, de la Mountain Music. Le rock vient du Blues, mais Elvis vient du Gospel. Du sud. On a exploré ça aussi. Pour le pire et espérons le meilleur. Je parle du gospel noir, insolite, où il y a des histoires de sexes, de meurtres… C’est presque un clin d’œil au Bayou avec le titre « Badlander ». Après un meurtre, un type se cache et devient fou. A la Tony Joe White.
Votre Amérique reste fantasmée : vous n’avez jamais vécu de l’autre côté de l’Atlantique ?
D.B. : J’étais interdit de séjour Un héritage communiste et royaliste de ma famille qui a pris les armes lors de la guerre civile. Depuis Obama, je peux y aller quand je veux. Mais l’occasion ne s’est jamais présentée. C’est par les livres, le cinéma et les amis que les Etats-Unis sont venus à moi. Et puis, quand tu habites en haut de Ménilmontant, et que tu descends, c’est San Francisco ! Mon Amérique, je l’ai recréée ici. Ça a fait rire beaucoup de monde, mais…
On ne retrouve pas d’influences grecques dans votre musique…
D.B. : Tout simplement parce que j’ai quitté ce pays il y a trop longtemps. Mais je fais ce qu’on appelle de la « Mountain Music ». Je me suis inspiré de trois documentaires court de john cohen « The high lonesome sound ». Il parle des hommes pauvres des mines de charbons. La musique est profonde liée à leur souffrance. Mon parrain adoptif – j’ai été adopté – venait des montagnes. Un jour j’ai visité son « pays » à la frontière de l’Albanie, j’avais 10 ans. Des années plus tard, en explorant mon propre monde, je me suis souvenu. Et inconsciemment dans le titre « The hurting kind », si on cherche bien il y a des intonations vocales grecques. Mais rien à voir avec un quelconque folklore.
Seize ans entre les deux albums solo, c’et un peu long ?
D.B. : Les événements de la vie ont fait que… J’ai perdu des amis très proches, ma « sœur » (Carol Bator, la femme de Stiv Bator). Le deuil a été pénible. Je me suis tourné vers la production dans un studio à Pigalle. J’ai habillé des chansons des clients des studios. J’ai gagné ma vie comme ça. Ça a apaisé la douleur. Et puis pendant deux ans et demi, j’ai pratiquement été SDF, sans appartement. Loin de la sérénité. Quand tout s’est calmé, j’ai attaqué l’album. Il est très personnel. A la fin du livret, il y a une citation de Robert Frost, un poète américain du 19e siècle, qui dit : « I have & lovers quarell with the world ». Ce qui veut dire « J’ai des querelles amoureuses avec le monde ». Des illustrations du livret très personnelles aux textes des chansons, rien n’est sans raison.
D’ailleurs, le disque est dédicacé à Carol Bator.
D.B. : Oui, la femme de Stiv Bator, le leader des Dead Boys et de The Lord of the New Church. Johnny Thunders m’a présenté à Stiv et à Carol. La vie a fait qu’on est devenu très proche. Après la mort de Stiv, Carol est resté à Paris pendant 3 ans avant de regagner les Etats-Unis. Seize ans plus tard, je l’ai retrouvée. Elle a su que j’étais à la rue et m’a offert un toit. J’ai hérité des instruments de Stiv qu’on retrouve sur cet album.
Albin de la Simone est également sur le dernier morceau de l’album. Un autre ami ?
D.B. : Albin vient d’un autre monde, de la chanson française. Moi, je ne viens pas de là. A l’époque, on répétait en studio avec les Pure Sins et on n’avait pas de pianiste. On le croise, il est venu avec nous, il est resté 6 ans. C’est à ce moment là aussi où j’ai commencé à faire de la musique pour le cinéma. Il m’a prêté son clavier et j’ai composé. Je lui ai demandé de jouer le morceau sur l’album. Moi, il m’aurait fallu une heure, lui l’a fait en 15 minutes. Je le considère comme le meilleur producteur multi instrumentaliste arrangeur en France.
Reformer un groupe, ça vous tente ?
D.B. : Le groupe c’est fini. J’ai donné 30 ans de ma vie à des groupes. Maintenant, c’est solo. Je ne peux pas retourner en arrière. Quant à rejouer avec lui, c’est avec plaisir ! Mais maintenant il est parti dans une direction qui n’est pas la mienne. Mais j’ai beaucoup de respect pour lui. Quand on commence la musique, on est adolescent, on joue dans un groupe. Puis vient le temps de la carrière solo. A 65 ans, il est évident que je n’ai plus rien à prouver. Je raconte des histoires. Les balades viennent naturellement.
Vos influences sont à l’opposée d’un homme comme Daniel Darc avec qui vous avez écrit un album.
D.B. : C’est une autre histoire. Quand on s’est connu avec Daniel, on régnait sur Paris en 1986. On partageait le même rêve : l’Amérique. On est né à 4000 kms de distance. Mais on avait le même goût. On était destiné à se croiser. J’ai donné une griffe à sa musique : fini la chansonnette avec une petite voix !
La musique de film, vous occupe beaucoup ?
D.B. : Je viens de terminer la musique d’un cinquième film. « Dodo », un film de Panos Koutras. J’ai déjà composé pour lui et on a terminé à Cannes ! Ma façon de composer pour le cinéma varie selon les films. Pour l’avant dernier long métrage, le réalisateur a passé du temps avec moi à Paris. On s’est promené et’ j’ai livré la musique sans avoir lu le scénario. Pour « Dodo », j’ai juste voulu connaître le « look », comme si je regardais les images sans le son. J’ai composé pour la première fois au piano. Je ne sais pas si le résultat va plaire, mais moi, je suis content. La musique de film est à chaque fois un défi magnifique. On n’a pas l’embarras de parler de soi. On est beaucoup plus libre.
Pourquoi ce nom de Delaney Blue ?
D.B : Quand j’étais petit. Il y avait un duo américain qui s’appelait Delaney & Bonnie Bramlet, très gospel blues. C’était à la fin des années 60. Eric Clapton, Alan Parsons… Tout le monde voulait jouer avec eux. Ça me faisait voyager. De longues années plus tard, je cherchais un nom de scène et ça m’est revenu. J’ai ajouté Blue pour la tristesse que ça évoque.
Hervé Devallan
Delanay Blue « The hurting kind » (Le Maquis)
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