Encyclopédie du Rock
Les Lionceaux
Les Lionceaux sont les dignes représentants de ces « Anti Yéyé » chers à Christian Eudeline dans son ouvrage « Anti Yéyé, une autre histoire des sixties » paru chez Denoël. Par opposition aux Sheila, Sylvie Vartan et autres Claude François, des artistes comme Michel Polnareff, Ronnie Bird, Antoine et bien sûr Les Lionceaux jouent la provocation et revendiquent une filiation directe avec le rock. Si on se souvient des fesses de Polnareff ou des élucubrations d’Antoine, n’oublions pas qu’Alain Hattat se fait réformer après trois petites semaines seulement sous les drapeaux. « Je suis obligé, sinon le groupe n’existe plus. Je suis d’un tempérament nerveux et pour accélérer le processus, je prends de la quinortine, ils ont eu peur que je n’en revienne pas », rappelle-t-il. A l’heure où le départ sous les drapeaux de Johnny Hallyday est célébré parla France entière (et bien mis en scène par sa maison de disque), l’acte de résistance d’Alain Hattat est téméraire en ces temps de guerre d’Algérie. Heu, pardon, de mission de police dans un territoire français…
L’histoire des Lionceaux débute à Reims en… 1959 lorsque deux amis de bac à sable, Alain Hattat et Jean-Louis Percy, décident de reprendre les standards du rock. Le duo se nomme alors Bill et Bill Prime. Mais l’idée d’un vrai groupe trotte dans la tête d’Alain Hattat. Résultat, un autre copain d’enfance les rejoint, le batteur Max De Schutter, rapidement rejoint par Jean-Claude Bourgeois à la basse. Et oui, pour faire un groupe, il faut être quatre ! En 1961, le quatuor est donc au complet et la vraie vie peut commencer. Enfin ! Une existence loin du bel canto et de la musette des parents qui passe par l’incontournable monde des reprises des Shadows et de Cliff Richard.
Mais au bar Le Gaulois, véritable QG du groupe à Reims, la tension monte et les idées fusent : il faut absolument un nouveau chanteur aux Lionceaux pour remplacer Jean-Louis Percy, parti servir son pays. Le bouche à oreille fonctionne et Alain Dumont aka Willy Stevens est engagé après de nombreuses auditions. « C’est le moins mauvais que j’ai trouvé » se souvient Alain Hattat en 2011. A l’image de la grande faucheuse, la grande muette abat ses cartes et ne laisse pas tranquille les champenois. Max De Schutter part à son tour à l’armée. Il est remplacé par Pierre Sainz. Lui c’est l’appel du groupe Billy Bridge et les Mustangs qui fait office de chant des sirènes. Il est remplacé par l’inamovible Michel Mathieu aka Bob. Quand à l’arrivée de Bruno Arrigoni pour 3 mois au sein du groupe, laissons lui la parole : « Je suis arrivé en remplacement de Jean Claude Bourgeois qui était guitare basse, Alain m’a laissé sa place de soliste avec élégance, d’août au 1er novembre 62, date de mon départ sous les drapeaux. Et c’est Jean-Claude Dubois (Dan) guitare basse qui m’a remplacé, Alain reprenant sa place de soliste« . Sans oublier Michel Taymont qui remplace Jean-Louis Percy… Bref, jusqu’en 1962, le line up s’adapte aux circonstances. C’est le moins que l’on puisse dire.
Un an après la création officielle du groupe, et comme nombre de rockeurs impétrants, Les Lionceaux montent sur Paris dans l’espoir de recevoir leur diplôme au Golf Drouot. C’est chose faîte le 1er juin 1962.Mais la consécration va attendre encore quelques semaines et prendre le chemin de la célèbre émission de télé «Age tendre et tête de bois» d’Albert Raisner. Dans leur fief à Reims et face à 35 groupes de la région, Les Lionceaux remportent la finale à 3 reprises dont une superbe victoire face aux Bourgeois de Calais le 13 avril 1963. Pour la quatrième participation, les dés sont pipés et Albert Raisner leur explique qu’il ne peut les laisser une nouvelle fois gagner. En revanche, « Il y aura dans la salle cinq maisons de disque, et l’une d’entre elle devrait bien vous choisir » ! Paris audacieux qui s’avère payant puisque Lee Hallyday (le cousin de notre Johnny national) les signe dans la foulée chez Mercury, filiale de Philips. En revanche c’est un coup dur pour Alain Dumont qui est débarqué du groupe. Ce sont donc quatre musiciens chanteurs (Alain Hattat à la guitare soliste, Michel Taymont à la rythmique, Jean-Claude Dubois aka Dan à la basse et Michel Mathieu aka Bob à la batterie) qui partent deux mois en tournée avec Johnny Hallyday comme… choristes ! Mais leur technique (et leur contrat !) leur ouvre les portes des studios. Fini les reprises des Shadows. Lee Hallyday en a décidé autrement : ils seront les Beatles français ! Tout simplement. A partir de novembre 1963, les 45t d’adaptation en français des Fab Four s’enchaînent, mais également la valse des membres du groupe : on comptera 13 musiciens au total dont Gérard Fournier aka Papillon (respectivement ex Players, Aristocrates et Mercenaires) venu remplacer Jean-Claude Dubois parti précipitamment en Belgique retrouver une belle blonde. Il s’en mord encore les doigts.
C’est en 1964 avec Papillon qu’ils enregistrent leurs nouvelles covers des Beatles. Le succès est au rendez-vous qui leur ouvre la voie royale des tournées estivales aux côté de Claude François et des Gam’s. Le quatrième 45t est dans la boîte en 1965. Année où ils s’exposent à nouveau aux charmes médiatiques d’« Age tendre et tête de bois » à Offenbourg en Allemagne où un certain caporal-chef Jean-Philippe Smet est en poste. Gérard Fournier a du être séduit par le personnage puisqu’en 1965, il rejoint Johnny Hallyday au sein de ses Blackburds. Cela sonne le grand retour de Jean-Claude Dubois, tandis que Michel Taymont est remplacé par Jean-Pierre Gaillet.
Mais le principe des reprises des Beatles s’essouffle. Malgré un beau travaille de choriste dans l’ombre de la star Hallyday, de l’étoile filante Jean-Claude Germain et de belles tournées avec Chuck Berry, Ronnie Bird, Antoine & ses Problèmes, Menphis Slim… le succès n’est plus au rendez-vous. Le dernier 45t avec deux morceaux originaux signés Alain Hattat et Michel Mathieu n’y changera rien. En 1966 l’arrivée d’Herbert Léonard à la guitare et au chant piqué aux Jets lors d’un concert à Strasbourg, ne sera que le chant du cygne. Pour honorer les contrats, je groupe tourne jusqu’au printemps 1967. « J’étais trop fier pour me faire jeter. J’ai préféré tout arrêter avant la dégringolade finale » explique Alain Hattat.
Au total, ces quatre (sic) excellents musiciens dans le vent vont interpréter trente titres, dont une dizaine de reprises signées Lenonn-McCartney et enregistrer sept 45t. Pourtant l’histoire des Lionceaux ne s’arrête pas là. En 1992, Alain Hattat et Michel Mathieu enregistrent un medley de leurs meilleurs titres. Mais le soutien de François Jouffa n’arrive pas à transformer leur investissement (100 000 Francs) en jack, pot. L’échec est cuisant. En 2004, Alain Dumont décide de raconter l’histoire des Lionceaux. L’occasion pour tout le monde de se retrouver et de donner un concert unique pour la promotion de l’ouvrage. Unique ? Pas si sûr puisque FR3 les réclame en 2005. Et l’histoire se répète tristement pour Alain Dumont qui est une nouvelle fois écarté du groupe. Pourtant un album original des Lionceaux voit le jour en 2005 sous le nom de Lionceaux Revival. Mais l’orage gronde entre les membres historiques de la formation. Les Lionceaux Revival d’un côté (avec Alain Dumont et Michel Mathieu) et Les Lionceaux Story de l’autre avec Alain Hattat, Jean-Claude Dubois, Jean-Louis Percy et Bruno Arrigoni. Mais le temps est cruel : Alain Hattat décède le 25 janvier 2017 et quelques jours plus tard, Jean-Claude Dubois.