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François Bréant : « Notre but, rencontrer Frank Zappa »

François Bréant ? Vous l’avez forcément entendu : clavier et compositeur de Bernard Lavilliers pendant 10 ans, réalisateur et arrangeur d’albums à succès pour Kent, Enzo Enzo, Salif Keita et tant d’autres. Une vie bien remplie qui débute par des groupes (Cruciferius et Nemo), passe par trois albums solos et aujourd’hui une biographie truffée d’humour et d’anecdotes « Arrangeur arrangé ». Rencontre

Pourquoi avoir décidé de sortir « Arrangeur Arrangé » maintenant ?
F.B.
 : Il y a deux ans, j’ai commencé par écrire ces histoires sur ma page Facebook. Je me suis pris au jeu parce que ça marchait bien. Parmi ces bons retours, il y avait « Fais-en un livre ! ». Mais je me disais, je suis musicien, pas auteur. A force, j’ai nourri la chose en me grattant la cervelle de souvenirs anciens. A force de pratique, j’ai pris le virus de l’écriture et un vrai plaisir ! Et j’ai trouvé la bonne attitude, celle qui met de la distance entre le vécu et l’histoire.

C’est une approche chronologique ?
F.B.
 : Oui, ça commence avec mon premier boulot rémunéré à Saint-Cast-le-Guildo en Bretagne. J’ai 17 ans et ça a duré le temps d’un été. C’était un quartet jazz. J’ai bossé comme un malade. A quatre, on ne peut pas se cacher derrière l’autre. J’ai énormément appris. On jouait tous les soirs et moi je bossais les morceaux dans la journée. Je n’ai pas profité de la plage ! C’est à ce moment-là que je dis que ça pourrait être mon métier. Au départ, j’étais parti pour devenir illustrateur et graphiste. J’étais aux Beaux Art de Rouen. A 20 ans, je monte à Paris : c’était en 1967 / 1968. Autant dire que c’était mouvementé et que je ne suis pas resté à l’école ! J’ai quitté les Arts Déco pour vivre ma vie de musicos. C’était au sein de Cruciferius qui avait quand même un contrat d’enregistrement. On tournait pas mal. Le groupe avait été formé par Christian Vander qui est parti en Italie 15 jours après que je sois arrivé. Au final, Cruciferius a été très formateur : premier groupe parisien, premières séances d’enregistrement, premier disque, etc.

Cruciferius te permettait de vivre de la musique ?
F.B. :
De survivre uniquement grâce aux concerts. Sur les ventes modestes du disque, on a touché des clopinettes. Mais ça m’a permis de m’inscrire à la Sacem, de ne plus être intimidé lorsque je rentre dans un studio d’enregistrement, de comprendre comment marche le showbiz, comment un contrat est structuré, bref de de savoir à quel endroit on est en train de se faire avoir. (rire). Je trouvais ça intimidant moi qui arrivait de ma province.

Il existait le complexe du provincial ?
F.B. :
Oh oui ! Spécialement à l’époque. Il y avait une énorme différence entre la province et Paris, notamment pour les fringues. Maintenant, on est tous habillé pareil en France. Avant, t’étais habillé péquenaud. Si tu voulais être hype, il fallait monter à Paris et se rendre aux Puces pour trouver les fringues américaines à la mode. Par chance, Rouen étant à 130 bornes de Paris, on allait en stop le samedi avec les copains.

Et la banlieue, ville de Cruciferius, c’était un autre complexe ?
F.B.
 : Il n’y avait pas de rivalité banlieue / Paris. On était à Montreuil parce que c’était là où les parents de Bernard Paganotti habitaient. Le fameux café Carnot que je décris dans le livre. Autrement, je n’avais pas d’attirance particulière pour la banlieue. Ce qui me plaisait dans Paris, c’était le quartier Latin : Saint Germain – Saint Michel – Luxembourg. Si on avait une chambre de bonne dans ce quartier, c’était bon. Moi par malchance, je logeais dans une rue hyper bourgeoise, rue de Prony dans le 17e. A 9h du soir, il n’y avait plus personne dans la rue. Quand on sortait, je restais jusqu’à la fermeture pour prendre le premier métro. Si non, je rentrais à pied.

L’autre complexe décrit dans le livre, c’est celui des groupes français vs les groupes anglo-saxons.
F.B. :
C’est intéressant de parler de ça parce que ce complexe était général, même du côté public. Il y avait un tel déluge de créativité venant d’Amérique puis d’Angleterre qu’on était sous le choc. En réalité, il n’y avait pas de vraies raisons. On était autant capables !

N’était-ce pas dû à une faiblesse de la production ?
F.B. :
On était nuls. On ne savait pas faire. D’ailleurs, dès que les vedettes de la variété française avaient un peu de ronds, elles faisaient leurs albums clé en main à Londres ou Nashville. Johnny, Eddy Mitchell l’ont fait plein de fois. Ils allaient là où cette musique s’inventait. C’est une histoire de business. Cette musique mondialisée rapportait tellement de sous que ça générait énormément de progrès dans l’industrie de l’enregistrement. Du coup, les artistes passaient de plus en plus de temps en studio alors qu’ici, il fallait enregistrer l’album en un week-end. La compétition n’était pas comparable.

Pourtant lors de votre concert en première partie de Vanilla Fudge à l’Olympia, Cruciferius a fait sensation !
F.B. :
Faut croire. On n’était pas annoncé et les gens ont cru qu’on était Vanilla Fudge. Une partie du public ne s’est rendu compte de rien. Ça voulait dire qu’on jouait pas mal. Il faut dire qu’on revenait du Japon où on avait joué 3 mois tous les soirs. On était huilé. Sur disque, l’album n’intéressait personne. Un groupe français qui chante en anglais… Si on avait fait comme les Charlots avec des paroles rigolotes… Au départ, Les Charlots s’appelaient Les Problèmes et jouaient du rock à l’anglaise.

Tu as cru à ton rêve américain ?
F.B. :
Oh oui ! On est parti neuf mois aux Etats Unis avec Pascal Arroyo. Le problème, c’est qu’on n’était plus un groupe et donc qu’on ne pouvait rien montrer sur scène. Je pensais qu’un coup de chance ferait qu’on passerait entre les gouttes de ces difficultés-là et qu’on puisse s’y installer. Mais non…

Un vrai blocage ?
F.B. :
On avait des enregistrements de notre dernier groupe qui venait de splitter. De la musique barrée comme les trucs les plus expérimentaux de Zappa. On nous disait : « votre musique est bizarre, intéressante. Quand est-ce qu’on peut vous voir jouer ? ». On répondait : pas possible. Alors on entendait, « Revenez nous voir avec le groupe. »

L’objectif était de rester aux Etats-Unis ?
F.B.
 : Oui. Parce que pour nous c’était clair qu’on n’était pas né dans le bon pays. Celui qui fabrique la musique qu’on aime. Ce n’était pas une admiration sans borne pour les Américains, parce qu’à ce moment-là, il y avait encore la guerre au Vietnam. Tout ne me faisait pas rêver aux USA. Mais la musique : oui. De toute façon, notre but était de rencontrer Frank Zappa pour qu’il nous produise.

Dans le livre, tu évoques tes rencontres extraordinaires !
F.B.
 : Des coups de bol… Tout en traînant dans les endroits où il se passe des choses ! On a essayé de forcer la chance, mais… La rencontre avec Jim Fielder le bassiste de Blood Sweat & Tears est vraiment fortuite. On avait croisé sa femme et une de ses copines à New York et on les a suivis à San Francisco. A l’époque, ce n’était pas « je vous prête un appartement », c’était « venez à la maison. ». Elle nous avait bien vendu à son mec. Faut se rappeler que Blood Sweat & Tears était avec Chicago, les deux plus grands groupes américains de l’époque !

Les deux autres musiciens de Kapak ne voulaient pas venir ?
F.B. :
Ils seraient venus si on avait une proposition concrète. Le truc ne s’est pas fait. Mais on arrive quand même à se brancher avec un manager. Il nous aimait bien, il nous signe et nous dit : je fais les maisons de disques avec votre bande, mais composez une vraie chanson qui puisse passer à la radio.

Un travail de composition qui se concrétise avec Nemo ?
F.B.
 : Quand on revient en France, on remonte un groupe avec d’autres musiciens (donc sans Albert Marcoeur et Patrick Tison). Y’avait le guitariste de Cruciferius, Marc Perru, Clément Bailly et Emmanuel Larcordaire, on a monté Nemo. Notre objectif : repartir avec de nouveaux morceaux et retourner au États Unis. Mais le temps passe et on nous a fait une proposition d’enregistrement en France.

Le retour en Europe a dû être un choc ?
F.B. :
Le choc a surtout été culturel… Se sentir musicien français, c’est-à-dire abandonner du public, des médias… Rock & Folk pouvait faire 4 pages sur de parfaits inconnus anglais et toi tu n’as droit qu’à un entrefilet. Je comprends qu’il faille vendre et ouvrir sur des stars, mais il y a une hiérarchie à respecter. Tu as l’impression d’être seul et incompris. Il n’y avait aucune curiosité. Je dis bravo aux groupes qui ont réussi à faire leur trou comme Magma, Ange ou Tri Yann… Chez les bretons il y a eu plusieurs grandes réussites ! J’ai toujours envié le public breton, peut-être grâce à la défense de la langue, qu’il était possible d’être prophète en son pays. Alan Stivell est le plus emblématique. Marc Perru, copain d’enfance de Dan ar Braz, a fait une partie de sa carrière en Bretagne.

L’objectif étant de réussir dans ton groupe. Est-ce frustrant de devenir un homme de l’ombre derrière Bernard Lavilliers ?
F.B. :
Il a fallu que je vire ma cuti. J’avoue que durant toutes ces années, l’objectif était de réussir avec mon groupe. Mais comme il fallait manger, de temps en temps je jouais dans des bals où j’accompagnais des chanteurs comme Michel Delpelch ou Pierre Vassiliu que j’aimais beaucoup. Avec lui, j’ai eu plaisir à le faire. Mais dans l’ensemble, c’était un purgatoire. Mes débuts avec Lavilliers étaient de ce calibre. Et puis, j’ai vu que ce mec fonctionnait comme un chanteur de rock. Il nous permettait qu’on soit musicalement important dans sa formation et qu’on apporte nos chansons et nos musiques. J’ai fait pas mal de chansons pour lui. Et surtout, lors des séances d’enregistrement, il ne faisait plus appel à un arrangeur. Ça fonctionnait comme un groupe. Il était le chanteur charismatique qui nous avait toujours manqué.

Quand tu intègres l’équipe de Bernard Lavilliers, il n’a pas encore cette dimension de star !
FB. :
Pas du tout effectivement. C’est un chanteur qui tourne dans les maisons de jeunes.

Et qui a quand même les moyens d’embaucher des musiciens !
FB. :
Très peu. Quand Manu Lacordair de Nemo intègre le groupe de Bernard Lavilliers, ils sont trois : Lavilliers à la guitare, Manu aux percussions et un bassiste. Faut se rappeler qu’il n’est pas connu, il a sorti trois disques qui n’ont pas marché. « Les Barbares » n’arrive qu’après.
En septembre 1976, Bernard Lavilliers s’apprête à jouer sur une petite scène de la fête de l’Huma. Comme il est bien payé, il peut s’offrir un clavier. Lacordair m’appelle et j’arrive. On fait une rapide répétition dans les sous-sols de chez Barclay. Je m’enfile tout son répertoire à l’arrache, sans partitions, sans rien.
Sur scène, je constate que ce mec a une belle conviction, il va chercher le public. Je me suis dit, là il se passe quelque chose. Ce gars a une telle envie de devenir une star. Il a ce virus, cet égo. Higelin avait la même maladie.

Tu as joué avec Jacques Higelin ?
F.B. :
Je le connaissais assez bien. J’ai fait un seul arrangement symphonique pour lui et quelques modestes séances. Mais la mère d’Izia, Aziza Zakine, était une copine…

Comment arrivent tes productions pour la musique africaine ?
F.B. :
Elle arrive à la fin de mon travail avec Lavilliers. Une journaliste qui s’appelle Béatrice Soulé qui était la femme du sculpteur sénégalais Ousmane Sow, était associée avec Nicole Courtois, première épouse de Jacques Higelin, la mère d’Arthur. Elle était éditrice de musique et avait en édition Salif Keita. Elle se demandait comment adresser la musique africaine au marché international. Sachant que j’étais pour beaucoup dans le son de Lavilliers, elle me propose de m’occuper d’un album de Salif Keita.

Là tu es réalisateur. Comment franchis-tu le cape ?
F.B.
 : Chez Lavilliers. Quand Bernard amenait sa musique, on l’arrangeait de manière collégiale. Quand c’était une musique de l’un de nous, la convention c’était que celui qui amène la chanson l’arrange. Ça m’a amené à écrire les partitions de tous les instruments. Et comme je connaissais le solfège, c’est moi qui écrivais les cuivres par exemple. Au fur et à mesure des besoins, j’ai acheté le traité de l’orchestration en librairie. Bref, j’ai bossé.

Pour l’anecdote, tu as aussi écrit une chanson pour Johnny Hallyday !
F.B.
 : Oui, une seule. Mais je ne l’ai jamais croisé. C’est « La fille d’en face ». Elle est sortie en 45t, mais elle n’a pas marché. Les paroles étaient de Lavilliers.

Qu’est-ce qui te motiverait en 2024 ?
F.B. :
J’aimerai faire du théâtre musical, du ballet. Ou alors entrer dans un groupe qui existe, qui tourne déjà. Mais personne ne va me le demander à mon âge.

Par exemple ?
F.B.
 : Si on me proposait Shaka Ponk, je ne dirais pas non ! C’est aux antipodes de ma musique, mais j’ai pris une telle claque lorsque je les ai vus sur scène.  Sur disque, leur rock est trop frustre pour me passionner. Mais c’était tellement costaud à voir ! Les réarrangements de leur reprise de Nirvana « Smell like teen spirit » m’ont mis sur le cul. Mais ils ne vont pas s’encombrer d’un vieux musicien ! La probabilité pour qu’un groupe de rock fasse appel à moi est minuscule. Il faudrait lancer la tendance du rock gériatrique ! (rire). Passé 70 ans c’est trop tard.

Tu travailles tes propres compositions ?
F.B. :
  Compte tenu de la difficulté de jouer en public, je compose pour moi. J’ai sorti mon troisième album solo en 2019. Quand on a remonté Nemo, j’ai vite vu que personne n’en avait rien à foutre. J’en parle comme d’une humiliation. Quand tu as joué dans le monde entier, tu ne peux plus recommencer comme à 18 ans. Je ne vais pas supplier un patron de bar pour jouer un gig à 50 euros !

Tu as eu des problèmes pour vivre de la musique à tes débuts ?
François Bréant :
Oui, mais quand ça marchait, ça générait beaucoup d’argent. Le problème aujourd’hui, c’est que même lorsque ça marche, ça ne génère plus d’argent.

Ton album solo est d’influence progressive ?
F.B. :
J’ai du mal à répondre. Je suis une vraie éponge, je me nourris de tout. Mais oui, c’est plutôt accès Progressif autour des claviers bien-sûr. C’est aussi teinté de jazz et même de classique lorsqu’elle est orientée musique de film. Sans oublier Frank Zappa qui est une influence majeure pour moi justement parce qu’il mélange tout sans avoir peur du mauvais goût. Ce kitch fait partie de son esthétique. Je fais mienne cette insouciance du collage. J’admire aussi, un peu comme tout le monde, les Beatles. Eux aussi ont fait feu de tout bois et n’ont pas eu peur de passer de Ob-la-di Ob-la-da à Revolution. Andy Warhol a bien symbolisé ce côté pop art du mélange. Dans mon expression personnelle, c’est ça. Je m’octroie le droit de mélanger les genres.

C’est vrai pour les 3 albums solos ?
F.B. :
Oui. Je mélange tout et j’espère que ça fonctionne pour les auditeurs. J’ai eu un beau succès d’estime pour les deux premiers sortis au début des années 80. Les disques étaient auto-produits mais distribués par Barclay via Egg. Du coup, distribués et pressés dans le monde entier. J’en ai vendu 12 000 de chaque, ce qui reste un bon score pour de la musique instrumentale. Pour le dernier, c’est beaucoup plus compliqué.

Propos recueillis par Hervé Devallan

Site officiel de François Bréant

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